À 12 ans, je n’étais pas très branché musique classique. Sans l’insistance de mes parents (MERCI !), je crois que j’aurais arrêté le conservatoire. Ça demandait un peu de travail personnel. C’est déjà difficile lorsqu’on est adulte – je sais, j’essaie d’apprendre l’anglais – mais alors enfant ou adolescent, ça me paraissait – et ça me paraît encore – quasi impossible !
Moi, j’aurais préféré faire du bicross ou jouer à Parsec sur mon TI 99 4/A. Ou encore m’entraîner au tennis. J’avais d’ailleurs la même raquette que Borg !
Ma mère a finement joué : Chaque année (peut-être entre mes 9 et mes 14 ans ?) imperturbablement, lorsque je commençais à me lasser de ces cours de musique, elle me disait :
“Je comprends bien ta demande. Le problème, c’est que tu as une sorte de contrat avec le conservatoire. Je propose donc qu’on termine l’année et que tu arrêtes en juin”.
Seulement en juin, c’était les concerts, les fêtes après les concerts avec d’autres copains que ceux de l’école, puis en juillet c’était les stages d’été ou je retrouvais d’autres copains encore qui partageaient avec moi les mêmes centres d’intérêts. C’était généralement à la fin du concert de stage que ma mère me posait la question :
– “Au fait, je dis bien au conservatoire que tu ne reviens pas à la rentrée ?”
– “Hum… peut-être encore un an ?” répondais-je timidement, sentant bien que je m’étais fait un petit peu avoir mais refusant de l’accepter.
Et ça a duré pas mal d’années… Et puis, nous sommes partis au ski. Impensable jusque là !
J’avais 14 ans. Nous partions peu en vacances en famille, et là nous projetions de passer une semaine, en Autriche qui plus est, pour skier ! La folie.
Je me rappelle l’excitation qui précédait le départ, la combinaison affreuse (vous pouvez en acheter une semblable ici), et le petit village dans lequel nous avions une location.
Et le deuxième jour, vers 11h du matin… je me suis cassé la jambe.
Une semaine d’hôpital autrichien à 14 ans sans savoir parler allemand, c’est hard (es ist schwer). Heureusement, j’avais une cassette de Dire Straits. Je l’écoutais dans mon walkman. Il était chouette, il était auto reverse, mais bon, au bout de 25 ou 30 écoutes, votre chanson ou même votre album préféré commence à vous lasser. Idem pour votre livre de chevet. Je n’en avais pris qu’un : 1984 ! Vous parlez d’un livre livre pour se détendre…
Alors, ma mère (décidément !) m’a prêté la cassette qu’elle avait emportée, elle. (Oui, elle avait aussi un walkman, mais pas auto reverse, le sien) : 40ème symphonie de Mozart et 1ère symphonie de Beethoven sous la direction de Franz Brüggen.
Un choc. Presque aussi grand que celui qui m’avait cloué au lit. Là pour le coup, j’arrivais sans peine à dépasser les trente écoutes de suite. Chaque fois, je découvrais de nouvelles choses.
Bien sûr, je n’en dis rien, je ne voulais pas avouer que petit à petit je rentrais dans un monde que jusque là je refusais…
Retour en France, hôpital encore, puis immobilisation pendant de longs mois.
Là, c’est mon père qui m’a prêté un disque (et offert la partition) : la passion selon Saint-Jean de Bach, sous la direction d’Harnoncourt. Couché sur mon lit, j’accordais mon violoncelle au diapason de l’enregistrement pour jouer la partie de violoncelle (le violoncelle couché sur moi, la partition sur un pupitre à côté du lit) alors que le disque passait.
J’ai aimé ça passionnément. J’aime toujours (et j’ai largement dépassé les 50 écoutes !)
Nikolaus Harnoncourt vient de nous quitter. Franz Brüggen est mort en août 2014, deux ans avant lui, c’était Gustav Leonhardt. Ils étaient de véritables géants.
L’annonce de la mort d’Harnoncourt m’a sincèrement peiné. Je n’avais pas réalisé qu’il avait plus de 80 ans.
Bien sûr, je n’ai jamais croisé ces géants-là. J’ai déjà eu la chance d’assister à certains de leurs concerts, c’est beaucoup.
Mais il y a des géants auxquels je dois finalement presque tout : mes parents. Ces géants-là ont su m’enseigner, à force de pédagogie, de persuasion, de ruses parfois, la phrase de Pindare :
“Deviens ce que tu es.”
Maintenant que je suis papa à mon tour, je m’aperçois que la tâche est rude. Ah ! Si j’arrivais à passer ce message (deviens qui tu es) à chacun de mes fils, ce serait… GÉANT.