Premier baiser
Ce matin, j’apprends la mort d’Emmanuelle Mottaz. J’ignorais son nom de famille, mais je me rappelle très bien de sa chanson Premier baiser.
Non, il n’y a rien à défendre dans cette chanson. Ni le texte, ni la musique, ni la réalisation du clip. Mais pourtant, par elle, j’ai vécu un de ces moments (je sais que ça va paraître ridicule à la plupart d’entre-vous) qui changent une vie ou plutôt qui constituent une identité.
C’est un souvenir qui date de 1986. J’avais 12 ans (12 ans et demi !). Je ne me souviens plus exactement quel fonctionnement avaient mes parents à propos de l’argent de poche. Seulement, j’avais ce jour-là un peu d’argent à moi. Noël ? Anniversaire ? Je ne me rappelle plus du tout. Mon ami Nicolas Biget – je cite son nom car il ne sait pas, je crois, à quel point ce qu’il m’a dit ce jour-là a été déterminant dans mon existence – me propose :
On va en ville ? Je voudrais acheter un disque à la FNAC.
???!!? On va en ville ?
Je n’avais jamais imaginé que se promener en ville puisse être une activité (toujours pas aujourd’hui, d’ailleurs) et n’avais jamais réalisé qu’on pût acheter nous-mêmes nos CD. J’avais l’impression qu’il fallait une sorte de validation parentale ou un truc du genre. Comme je ne voulais pas paraître trop plouc (Nicolas a un an et demi de plus que moi), j’ai demandé le plus naturellement du monde à mes parents si je pouvais aller à la FNAC avec lui, ce qu’ils acceptent sans souci. (J’ai compris hyper tard que mes parents acceptaient tout en fait, à condition que je sache exprimer ma demande et que je puisse argumenter un minimum, mais ce n’est pas du tout le sujet.)
Devant les rayonnages j’ai ressenti un truc de fou. Toute la musique du monde devant moi, à ma portée. Avec plusieurs CD en écoute avec un casque. Ça paraît nul aujourd’hui à l’heure de Spotify ou Deezer, mais je me rappelle mon émotion… et mon inculture. Je ne connaissais rien, ou quasiment. Nicolas souhaitait acheter un disque de Peter Gabriel, je crois. Je ne suis plus très sûr. Peut-être était-ce Bruce Springsteen ? New Order ? Dire Straits ? Quoi qu’il en soit, ce n’était que des noms inconnus de moi. Je ne me rappelle plus très bien ce que j’écoutais à l’époque, mais déjà, j’étais loin, très loin d’être dans le coup.
Il prend son album, se tourne vers moi et me demande si j’achète un truc. Là déjà, j’ai eu un moment de panique : “Acheter un truc ? mais bien sûr ! Nous sommes là pour ça, non ?” et en même temps, dans sa question, il me laissait la possibilité de rebrousser chemin. Mais je me suis entêté, je rentrerai avec un CD…
Sauf que je n’avais aucune idée de la musique qu’il y avait dedans. Et ce n’est pas les quelques minutes au casque qui me permettaient d’avoir un coup de foudre pour l’un d’entre-eux. On marche dans les rayons et je tombe sur le single “Premier baiser”.
Ça je connaissais ! Pas forcément la série (aucun souvenir d’ailleurs), mais la chanson passait en boucle dans le club Dorothée. Immédiatement je me saisis du disque mais le repose immédiatement car j’ai quand même conscience que c’est la honte à côté des titres devant lesquels Nicolas hésitait.
Il a bien senti que je me sentais tout con – ou alors, je lui ai avoué – et là, il me dit naturellement : “Ben, t’emmerde pas. Si c’est une chanson que tu aimes, si ça te fait plaisir, pourquoi tu hésites ?”. C’est vrai ça, pourquoi ?
Alors j’ai acheté le disque. Un peu honteux quand même à la caisse. Mais tellement heureux à la maison d’avoir ce disque… que j’avoue n’avoir écouté que 2 ou 3 fois seulement.
Mais cette petite phrase : “Si ça te fait plaisir, pourquoi tu hésites ?”, je l’avais peut-être déjà entendue. Mais prononcée par un ami de 13 ans, à propos d’un disque à la qualité discutable mais qu’il ne jugeait pas me reste en mémoire et est devenue peut-être la phrase qui résume le mieux ma manière de vivre… J’y pense souvent, bien que je reconnaisse volontiers que cette petite anecdote, je vous avais prévenus, n’a pas plus d’intérêt que ça. Sauf qu’à l’occasion du décès de cette pauvre Emmanuelle, ça m’a fait plaisir de vous la raconter. Alors, je n’ai pas hésité.
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Et puis bien sûr, comme tous les jeudis, continuons notre cycle “Un an de chansons” autour des poèmes de Jean-Luc Moreau. Cette semaine, un petit canard nous prépare une surprise…